Selon l’économiste Mourad Hattab: » Si elle arrête d’importer de la Turquie, la Tunisie pourrait rembourser 53% de son service de dette extérieure «
La Tunisie pourrait rembourser 53% de son service de dette extérieure annuelle, d’une valeur de près de 3800 MD, si elle arrête d’importer de la Turquie. Ses importations de ce pays, dont 70% sont des produits « superflus », ont été évaluées à 1838 MD en 2016, selon l’économiste Mourad Hattab. Le service de la dette annuelle représente 10% des importations globales.
Depuis 2011, la Tunisie souffre d’un déficit commercial chronique qui n’a cessé de se creuser. Durant le mois de mars 2017, ce déficit s’est établi à 3878,9 MD, contre 2466,3 MD durant la même période en 2016.
Le déficit enregistré avec la Turquie pèse lourd en termes de solde commercial. Ainsi, la Turquie est le deuxième pays avec lequel la Tunisie enregistre le déficit commercial le plus important (-478,1 MD) après la Chine (-942,4MD), qui reste, néanmoins, « l’atelier du monde » avec lequel tous les pays peuvent avoir un déficit.
Selon Hattab, ces chiffres donnent à l’économie nationale une allure d’anarchie, vu que le volume des importations est presque équivalent au volume des marchandises vendues en contrebande sur le marché tunisien. » On est presque dans les mêmes proportions », a-t-il estimé.
Et d’ajouter: « il s’agit d’un phénomène aussi catastrophique pour l’économie que la contrebande et ses effets néfastes pour le pays « .
Consommer des produits turcs, un choix politique et économique
En effet, l’accroissement des importations turques sur le marché Tunisien a été de plus en plus perceptible après la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011. » C’est un choix politique et économique », a affirmé l’universitaire Mongi Smaali. » Le principal gagnant de cette tendance est la Turquie, l’économie tunisienne n’en sortira qu’avec des effets néfastes à long terme « , a encore déclaré le professeur d’économie à l’Agence TAP.
Le débat sur l’accroissement continu des importations tunisiennes provenant de la Turquie se poursuit toujours dans les médias, le ministère du commerce et de l’industrie se préparant à tenir des réunions avec la partie turque afin de réviser à la hausse les exportations tunisiennes vers la Turquie. Il y a lieu de rappeler que la Tunisie et la Turquie avait entériné, en 2013, un accord signé en 2004, portant sur la création d’une zone de libre-échange entre les deux pays, accord qualifié par certains experts de déséquilibré.
Revenant sur les types de produits importés en 2016 de ce pays, il a noté que ces biens ne sont pas nécessaires à la production car ils sont composés dans leur majorité de fruits écores, tels que les agrumes et melons (7, 286MD), les céréales ( 20,683 md), les tabacs (48, 738MD), les oléagineux, les graines et les plantes industrielles (11,964 MD ), les papiers, cartons et ouvrages (134,123 MD), les meubles, la literie et la lustrerie (15, 946MD) » .
Au cours du mois de mars 2017, la Tunisie a importé de la Turquie, son 4ème fournisseur, pour une valeur de 520, 761 MD, alors qu’elle n’a exporté sur ce marché que pour un montant de 42, 696 MD.
» C’est vrai que le marché tunisien a été ouvert aux turcs, depuis 2008, mais la Turquie n’est que le 16ème client de la Tunisie, d’autant plus que l’économie turque est semblable à la nôtre », a précisé Smaali.
Selon Hattab, les importations tunisiennes de la Turquie qui a un excédent de production, ne peuvent être écoulées sur les marchés de l’Union européenne (UE) car elles ne répondent pas aux normes en vigueur sur ces derniers et il est difficile de déterminer l’origine et la validité des produits turcs , a-t-il regretté.
Une hémorragie à arrêter avant qu’il ne soit trop tard
Pour Mourad Hattab, les autorités tunisiennes doivent agir pour que la situation ne se détériore pas davantage et afin de réduire, voire éviter les dégâts. » Si cela continue, le déficit commercial s’établira, à la fin de l’année, à environ 14 000 MD « . Cette hémorragie de l’importation doit s’arrêter, sinon dans trois ans, la Tunisie se trouvera dans une situation de blocage total et ne pourra gérer ni croissance ni décroissance « , a-t-il prévenu.
« On importe tout et rien à la fois, près de 70 % des produits importés de la Turquie sont des marchandises superflues contrairement aux déclarations qui disent que 80% des marchandises venant de la Turquie sont des produits nécessaires à l’économie. Il s’agit plutôt de produits non intégrés alors que les exportations tunisiennes vers ce marché sont quasi absentes ». En 2016, les produits tunisiens exportés vers la Turquie ont concerné les préparations de viandes et poissons (400, 552 md), les résidus des industries alimentaires (5,098 MD) .
Selon Hattab, les produits importés de la Turquie se répartissent entre les produits utilisés par les ménages, tels que les ustensiles de cuisine (36%), les produits alimentaires (12%), le prêt-à-porter, le cuir et chaussures (24%), les matériaux d’équipement (30%).
D’après lui, il y a une contradiction flagrante entre le fait que le ministère du commerce donne accès à ces produits, notamment pendant les périodes de pics de consommation, à l’instar des périodes de l’Aid et Ramadan, puis lance des communiqués pour alerter les consommateurs contre les dangers de ces mêmes produits.
Revoir les accords bilatéraux et engager des mesures exceptionnelles
Smaaili a proposé, quant à lui, la suspension pour une période bien déterminée de l’accord conclu entre la Tunisie et la Turquie ou la révision de ses clauses, des mesures exceptionnelles devant permettre à la Tunisie de faire face à la conjoncture difficile qu’elle vit.
Les autorités tunisiennes peuvent également appliquer les normes techniques, lors du contrôle des produits provenant de la Chine et de la Turquie. Cette mesure est à même de limiter l’entrée des produits non conformes sur les marchés tunisiens.
Il a rappelé, à cet effet, que » les turcs sont très rigoureux en matière de contrôle des marchandises entrant sur leurs marchés. La Tunisie pourrait faire de même, d’autant plus qu’elle fait face au fléau de la contrebande ».
Le gouvernement pourrait aussi mener une action de citoyenneté pour sensibiliser les citoyens à consommer du » Fabriqué en Tunisie », quelque soit son prix.