Quelle intégration maghrébine ?
Le 17 février de chaque année, depuis 1989, on fête l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Comme chaque année, s’organisent les festivités, les réunions, les conférences et les débats. Il en ressort, tous discours confondus, deux constats majeurs. Le premier souligne l’importance des richesses et des atouts en commun et se plaint du coût du « Non-Maghrèb ». Etant donné les avancées enregistrées au niveau des textes fondateurs des institutions communautaires, il va jusqu’à réclamer une monnaie commune. Le deuxième rappelle, comme toujours, la faiblesse, voire l’insignifiance du commerce intra-maghrébin et le sommeil prolongé des institutions, pour dire que l’union a survécu.
Il est vrai que la léthargie dans laquelle se trouvent les institutions maghrébines et le peu de
retombées concrètes dans le quotidien du citoyen maghrébin ne poussent guère à l’optimisme.
Loin de tout manichéisme, l’union est une réalité forgée et portée par plusieurs générations
mais aussi un projet en perpétuelle construction. Or quand on évoque les multiples atouts,
notamment ceux relatifs aux différentes richesses dont dispose la région ou ce que partage le
peuple, l’union semble tout bonnement acquise. Cela devient même une obligation morale, ce
qui consolide le rôle de l’émotionnel dans la conduite du projet. Et c’est là où réside toute la
difficulté de la construction maghrébine. C’est le nœud gordien qu’il faut trancher. Car on ne
conduit pas un si important projet par l’émotionnel mais par le rationnel.
Comparés aux pays du Maghreb, leurs partenaires européens ont peu de choses en commun et leur histoire, voire récente, est jalonnée de rivalités et de guerres à millions de morts. Ils ont pourtant réussi à construire une communauté économique et puis une union monétaire, gage de puissance et de prospérité.
Comparaison n’est pas raison, me diriez-vous. Certes, mais d’importantes leçons peuvent en
être tirées, d’autant plus que les deux régions partagent presque les mêmes dates phares : du
traité de Rome en 1957 ou de l’accord de Tanger en 1958 jusqu’à aujourd’hui. La plus
importante de ces leçons, me semble-t-il, oppose l’esprit de l’action à celui de l’acquis. Le
premier caractérise depuis toujours l’intégration européenne. Celle-ci était conçue comme un
processus de dur labeur dont les retombées profiteraient aux générations futures. Cela suppose
la programmation, la patience et le sens de sacrifice. Alors que le deuxième, l’esprit de
l’acquis, est souvent source d’une faible action et d’une hâte dans l’exécution de tâches en
vue de récupérer les résultats et de s’en glorifier. C’est le cas de la construction maghrébine.
Alors que les autorités maghrébines ont confiné la construction dans le domaine politique et
ne cessent jusqu’à aujourd’hui de rabâcher sans issu la question de la souveraineté, les
européens, au contraire, ont réussi à la résoudre et à créer des mécanismes qui fonctionnent
dans le sens inverse. Le processus d’intégration était considéré dans toutes ses dimensions :
l’économique et le social allaient de pair avec le politique. Ainsi, pour l’exemple, le FEDER
(Fond Européen de Développement Régional), via la péréquation économique, a permis aux
pays du sud de l’Europe de rattraper le niveau de développement d’un pays comme
l’Allemagne ; la PAC (Politique Agricole Commune) a assuré l’autosuffisance alimentaire ; le
budget commun et les emprunts communautaires ont permis le développement d’une
infrastructure européenne de haute qualité. Ce ne sont là que des exemples qui ont garanti aux
européens une mobilité économique et sociale suffisante pour partager l’appartenance à un
même espace économique. Cet esprit est très présent chez les européens qui ont grandi avec le
processus d’intégration, notamment les plus jeunes. Nombreux sont les programmes qui leur
sont dédiés. Erasmus, au non d’Erasme, le sage de Rotterdam, en est un. Il a permis, 20 ans
après son lancement en 1987, à 1,5 million d’étudiants de participer à des échanges
universitaires entre pays européens partenaires. Avec les mêmes frais d’inscription payés à l’établissement d’origine, les étudiants peuvent effectuer une partie de leurs études dans un autre établissement européen, pendant trois mois au minimum ou un an au maximum. Ce programme bénéficie également au personnel de l’enseignement supérieur, il vise à améliorer et à accroître l’échange multilatéral entre établissements de l’enseignement supérieur et entre ceux-ci et les entreprises.
De pareilles structures existent-elles au Maghreb ? Qu’a-t-on fait sur le plan de la mobilité économique et sociale ? Rien ou presque. C’est à dessein que j’ai avancé l’exemple précédent : le maître mot dans tout processus d’intégration est la mobilité, sans elle point d’espace économique commun ou de programmes et de politiques qui vaillent.
Il est plus qu’urgent aujourd’hui de repenser le processus d’intégration au Maghreb de sorte à
appuyer la mobilité, cet élément moteur. Cela ne peut se faire à l’échelle d’un pays. Trop de
retard est déjà enregistré dans ce domaine. Il faut rompre avec le saucissonnage de l’action
publique commune aux pays membres et raisonner en terme de zone de production et
d’échange à cent millions de consommateurs dont il convient de satisfaire la demande. Un
programme d’action et un budget communautaires sont plus qu’indispensables. Au niveau du
transport, par exemple, l’infrastructure routière n’est pas une simple addition de tronçons de
routes réalisées séparément dans chaque pays. Au contraire, ce dont on a besoin c’est
d’élaborer une maquette qui facilitera à terme le maillage de la région et y mettre les moyens
nécessaires. Dans l’état actuel de choses, même quand l’échange est libre, il y a toujours le
risque de le contraindre par crainte de problèmes économiques locaux. On a souvent dans des
produits comme le lait ou le concentré de tomates des exemples parfaits de tension entre la
satisfaction de la demande locale et l’encouragement de l’échange régional. A l’image d’un
tableau d’échange inter-industriel (TEI), on peut élaborer une matrice d’échange intra-
maghrébin qui facilitera l’adéquation entre l’offre et la demande de la zone ainsi que la sélection de projets d’investissement prioritaires et de faisabilité garantie.
L’histoire nous a appris que derrière la réussite d’un processus d’intégration régionale il y a
toujours eu un pays, ou couple de pays, moteur et des hommes de grande envergure à la
conduite. Après Schumann et Monnet, l’Europe doit beaucoup au couple franco-allemand,
notamment avec De Gaulle-Adenauer et Mitterrand-Kohl. Pour ce qui est du Maghreb,
l’Algérie peut en être la locomotive. De par sa position, le « Maghreb central », elle
concentrera la grande partie de l’infrastructure de la région, d’une part. D’une autre part, elle dispose d’un montant élevé de réserves en devises et tient à rattraper la décennie perdue, celle des années 1990, et à diversifier son économie trop dépendante des hydrocarbures. Cela ne peut que contribuer à améliorer les niveaux de l’investissement, de la croissance et de l’emploi, ne serait-ce que par les effets d’entraînement qui profiteront tout particulièrement aux productions agricole et manufacturière tunisienne et marocaine.
C’est par l’économie que le Maghreb réussira sa construction. Il incombe aux acteurs économiques de la région de pousser dans ce sens et d’apporter leur contribution à l’édifice dans un nouveau contexte économique où la production à une large échelle et la concentration sont de mise. Les décideurs politiques suivront…
Dr. Ali ABDALLAH