Revoir la stratégie agricole avant l’adhésion à l’ALECA
La Tunisie entame, lundi, un deuxième round de négociations avec l’Union européenne (UE) en prévision d’un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) avec à l’ordre du jour entre autres des négociations sur l’agriculture, alors qu’une enquête réalisée au mois de mars dernier, a révélé que 90% des agriculteurs tunisiens n’ont jamais entendu parler de l’ALECA.
Environ 82% des agriculteurs estiment que l’accord serait bénéfique pour les grands agriculteurs. Pour 34% des interviewés, l’ALECA ne serait pas bénéfique pour les petits agriculteurs et 31% considèrent qu’il n’est pas également bénéfique pour le consommateur tunisien.
L’enquête réalisée du 16 au 30 mars 2018, a montré également que 78% des agriculteurs ne sont pas satisfaits de la politique agricole et 81% vendent leurs produits sans aucune transformation.
Selon l’enquête effectuée auprès d’hommes et de femmes exerçant une activité agricole et disposant d’une terre agricole d’une superficie maximale de 10 hectares, pour développer leurs activités 68% des agriculteurs pensent avoir besoin d’un soutien financier, 52,3% d’aides en nature et 21,3% d’eaux d’irrigation.
L’enquête a indiqué que 75% des moins de 35 ans sont intéressés, au moment de la conversion, par les activités agricoles liées à la transformation, en premier lieu l’élevage et l’apiculture.
En outre, selon une étude intitulée » l’Aleca, une opportunité pour moderniser l’agriculture en Tunisie « , le secteur subit plusieurs contraintes dont la première et non des moindres est la crise économique et sociale qui restreint la marge de manœuvre du gouvernement.
L’étude effectuée par Ghazi Ben Ahmed directeur de l’association Méditerranéan Développement initiative note que parmi les contraintes figurent l’augmentation de la pression sur les ressources naturelles fragilisées en raison du réchauffement climatique et un accès limité au financement bancaire. Ainsi 7% seulement des agriculteurs bénéficient de prêts bancaires et 70% sont financés sur » fonds propres « , ce qui implique un grand volume de crédits fournisseur et acheteur. L’étude évoque la taille des exploitations agricoles marquée par une forme de dualisme entre de grandes exploitations agricoles et d’autres de petite tailles. « Une nouvelle forme de dualisme est née en 2010 avec un accès différencié aux ressources naturelles, aux sources de financement et à l’information « , d’après le document.
Quant aux aspects sociaux de la politique agricole, un rapport publié par la Banque mondiale (BM) en 2006, cité dans l’édude, montre que ceux qui dépendent de l’agriculture sont souvent les franges les plus pauvres et les plus vulnérables de la société. Par ailleurs, les objectifs de la politique agricole en Tunisie ont été, depuis l’indépendance, davantage d’ordre social, en l’occurrence maintenir la stabilité sociale et la sécurité alimentaire, ce qui s’est traduit par » des prix de production déconnectés de la réalité des coûts de revient » et a défavorisé les producteurs agricoles.
L’étude qui se réfère dans cette partie aux réflexions d’un groupe de travail composé d’experts de l’AFD et du ministère de l’Agriculture met l’accent sur une forte croissance des importations notamment, pour certains produits de base afin d’atteindre la sécurité alimentaire, le déficit de la compétitivité » prix » et » hors prix » de l’offre agricole nationale par rapport aux denrées alimentaires importées et la difficile maîtrise des marchés à l’exportation, dont la volatilité des prix et la stagnation dans certains cas mettent en péril les stratégies des producteurs pour une meilleure valorisation des produits exportés.
Dans sa conclusion, l’étude estime que le pays a un intérêt à profiter de 10 ans de répit pour repenser le modèle de développement agricole trop coûteux en ressources et pas assez efficace.
Elle appelle à élaborer une véritable politique agricole moderne qui aura pour objectif de produire plus avec moins de ressources et à utiliser des technologies respectueuses de l’environnement
Elle reprend également, pour son compte, les recommandations de l’Institut de prospective économique et du monde méditerranéen (IPEMED).
Ces dernières portent notamment sur la création d’un statut professionnel et social pour les travailleurs agricoles, la sécurisation du foncier, de manière à faciliter l’accès à la propriété ou à un faire valoir direct attractif pour les petits et moyens agriculteurs.
L’IPEMED recommande l’amélioration des revenus des producteurs à travers l’adoption de prix attractifs, l’appui à une gestion performance des exploitations agricoles, à l’intensification de l’effort en matière de recherche/développement et à l’appui à l’organisation des producteurs agricoles et des filières agroalimentaires.
La Tunisie bénéficie, depuis novembre 2012, du statut de partenaire privilégié de l’UE, son premier partenaire commercial et économique. Les deux parties ont eu un premier round de négociations sur l’ALECA en avril 2016.