La gestion des déchets en Tunisie : des entreprises publiques portent préjudice à l’Etat et font fuir les investisseurs étrangers
La société » Green Planet recycling LTD » créée par un investisseur de nationalité américaine a porté plainte auprès du tribunal administratif de Tunisie contre l’Agence de gestion des déchets (ANGED) en septembre 2016.
Cette société immatriculée aux Etats Unis et en Tunisie porte plainte contre l’Agence qui lui a fait arrêter les travaux qu’elle avait lancés en avril 2016, pour aménager et réaliser une unité pilote intégrée de traitement des déchets au niveau de la décharge contrôlée de Zaghouan.
La société a pu bénéficier de toutes les autorisations nécessaires à l’exploitation d’une partie de cette décharge qui s’étend sur 12 hectares pour installer une unité pilote de production de l’électricité, du biogaz et des engrais organiques. Un accord tripartite lie également la société, au conseil municipal du gouvernorat de Zaghouan (réunissant le gouverneur et les représentants des 6 municipalités) et à l’ANGED.
Le responsable de la société menace de déposer une autre plainte contre le gouvernement tunisien et l’Etat auprès des instances d’arbitrage spécialisées en Amérique conformément aux accords conclus entre la Tunisie et les Etats Unis notamment, celui conclu en 1968 et la convention d’investissement mixte en vigueur depuis le 7 février 1993, dans laquelle le gouvernement tunisien s’est engagé à protéger les droits des investisseurs américains en Tunisie et vice versa.
Le projet de la société américaine, qui devrait offrir entre 70 et 100 emplois porte sur la transformation des déchets ménagers et les produits semblablesd ans le gouvernorat de Zaghouan, en carburant alternatif connu sous le nom RDF, dont une partie peut être utilisée par la cimenterie de Jebel Oust située dans cette région.
Cette affaire fait face ///paraît quelques mois seulement, après la tenue de la conférence de l’investissement « Tunisia 2020 » (29 et 30 novembre 2016), pendant laquelle le gouvernement a déployé tous ses efforts pour attirer les investisseurs étrangers et les convaincre de venir investir en Tunisie.
IL (gouvernement) leur a promis de leur fournir toutes les facilitations administratives. De son côté, l’ARP a accéléré le processus d’adoption de la nouvelle loi sur l’investissement lequel propose des mesures incitatives au profit de l’investisseur.
L’Agence se désiste après avoir signé une convention avec l’investisseur pour l’exploitation de la déchèterie pendant 25 ans
L’ANGED a autorisé la société Green Planet Recycling, depuis le 6 mars 2014, à installer un projet de recyclage énergétique des déchets et de production des engrais organiques dans la déchèterie du gouvernorat de Zaghouan, tout en refusant un projet similaire présenté par un investisseur tunisien, qui promettait » zéro déchet » dans deux gouvernorats du Sahel et qui a été longuement bloqué.
Six mois après, soit le 14 octobre 2014, l’étude relative aux effets du projet de » Green Planet recycling LTD » sur l’environnement a été acceptée par l’Agence nationale de protection du litoral (APAL), sachant que la commission chargée de l’accréditation de cette étude compte parmi ses membres, un représentant de l’ANGED.
En vertu de l’accord conclu, l’investisseur américain s’engage à entamer les études d’exécution du projet et à mettre en place les différentes composantes du centre de traitement et de recyclage dans un délai ne dépassant pas les 12 mois, à compter de la date de l’autorisation obtenue auprès de l’ANGED. Or, l’investisseur n’a entamé réellement les travaux que le 2 avril 2016, en raison du retard pris par l’investisseur, pour prendre possession de la décharge.
Des dédommagements de 10 millions de dinars revendiqués
Le propriétaire de la société Green Planet Recycling Mohamed Dalbah a dit que son avocat a évalué le montant total des dédommagements à 10 millions de dinars tunisiens au titre de préjudice financier et moral, d’autant que la société a des engagements vis-à-vis des bailleurs de fonds et des banques.
Ainsi, la Tunisie risque encore de perdre non seulement des fonds, o combien nécessaires compte tenu de l’état actuel des finances publiques, mais également, un projet écologique de » zéro déchet « , lequel aurait pu contribuer à mettre fin aux problèmes persistants des déchets, et à encourager la production des énergies renouvelables.
« Ils ont terni volontairement mon image et celle de mon entreprise, me qualifiant d’usurpateur alors même que j’ai obtenu toutes les autorisations nécessaires », a protesté Mohamed Said Dalbah dans une déclaration à l’Agence TAP.
Si son projet avait été réalisé, il aurait fait figure d’exemple à suivre, exemple qui romprait avec la politique de l’enfouissement des déchets qui porte préjudice à l’environnement et au sol et nuit à la santé des citoyens résidant à proximité des déchèteries, notamment ceux qui habitent près de la décharge de Borj Chakira dans la banlieue de Tunis.
Dans une correspondance adressée à l’avocat de la société de cet investisseur en Avril 2016, le gouverneur de Zaghouan a demandé la suspension des travaux en attendant l’adoption d’un avis définitif sur le projet par tous les services concernés. Le gouverneur a également exigé un rapport complet et détaillé sur toutes les composantes du projet et les parties concernées par sa mise en œuvre, notamment la partie chargée du traitement des déchets et les moyens de le faire.
Depuis 2011, l’ANGED fait face toujours dans le gouvernorat de Zaghouan, à la société civile et aux habitants de la localité de Jradou, qui l’ont obligé par le biais de la justice à fermer le Centre de traitement des déchets dangereux dans la région, qui constitue la première institution spécialisée dans le traitement de ce type de déchets en Tunisie et en Afrique.
Pour le gouverneur de Zaghouan, l’accord conclu entre la société, le conseil régional de Zaghouan et l’ANGED ne dispense pas la société de l’obligation d’avoir une autorisation, conformément aux exigences du code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Dans une correspondance adressée à l’avocat de l’investisseur, l’ANGED l’appelle à arrêter les travaux en attendant l’identification d’une solution définitive avec les parties concernées et l’invite à présenter un dossier complet et détaillé sur les composantes du projet et les parties concernées « ..
Le propriétaire de la société » Green Planet Recycling LTD » estime que le blocage est mené pour laisser le champ libre à d’autres programmes prônant l’enfouissement des déchets, alors que l’orientation générale de l’ANGED porte plutôt vers leur recyclage et leur valorisation.
La Tunisie produit annuellement, environ 2,5 millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés, lesquelles sont uniquement traitées par l’enfouissement.
Cette technique de traitement des déchets constitue un grand danger pour l’environnement et pour la santé des citoyens. Elle est toutefois assimilée à « une poule aux œufs d’or » pour les entreprises qui exploitent les décharges aménagées grâce aux financements de l’Etat tunisien sans aucun effort de valorisation.
Le prix de traitement d’une tonne de déchets par la technique de l’enfouissement est estimé à 24 dinars.
Selon ’investisseur américain, » la décision d’arrêter les travaux de la société n’a aucun fondement juridique et le projet n’a aucun impact négatif sur l’environnement « .
» J’ai épuisé tous les recours. J’ai même contacté les ministres et les députés de l’ARP ainsi que l’Ambassadeur de Tunisie à Washington, afin de reprendre les travaux mais le ministre de l’Environnement m’a informé que le dossier est bloqué au niveau de la présidence du gouvernement et demeure sans issue ».
Il n’a pas été possible à l’Agence TAP, d’obtenir une réponse auprès de la présidence du gouvernement en ce qui concerne ce sujet.
L’ANGED captive de ses anciens responsables
Cette affaire n’est pas la première à laquelle fait face l’ANGED en raison de ses politiques qui n’ont aucun aspect participatif et à cause de son passé d’avant la Révolution 17 décembre 2010/14janvier 2011. Les rapports de la cour des compes relève plusieurs défaillances dans la gestion de l’Agence et son utilisation par l’ancien régime en tant que moyen d’accaparer les financements octroyés par les institutions financières internationales à la Tunisie afin de soutenir ses progammes environnementaux.
Il y a lieu de signaler que les financements internationaux pouvant être accordés au profit de l’environnement sont obtenus plus facilement de nos jours car les bailleurs de fonds admirent l’expérience démocratique en Tunisie. Toutefois, du sud au nord le pays connaît une propagation sans précédent des décharges anarchiques et des déchets, ce qui soulève des doutes sur l’efficience des programmes de gestion ainsi que la bonne gouvernance des financements obtenus par l’Etat pour la sauvegarde de l’environnement.
Séparée en 2005 de l’Agence nationale de protection du littoral (APAL) L’ANGED a été utilisée du temps de Ben Ali comme un moyen de mobilisation des ressources financières et leur transfert au profit des projets de Ben Ali et de sa belle famille, selon un rapport de l’Instance de contrôle général des services publics (ICGSP).
Dalbah a fait remarquer que cette entreprise est gérée, jusqu’à ce jour, par ses anciens dirigeants accusés dans des affaires de corruption. « Lorsque mon problème a été posé au cours de la réunion, le jeudi des déchets, une réunion périodique que l’ANGED organise chaque jeudi en présence de représentants des municipalités et des sociétés concernées par la valorisation des déchets, la réponse m’est venue de l’ancien directeur qui avait été incarcéré et contre lequel des affaires de corruption sont encore déposées auprès des cours d’appel.