Pourquoi Nabeul a été inondée ? réponse d’un Consultant international en hydraulique

    Les inondations qui ont ravagé le 22 septembre 2018, le gouvernorat de Nabeul, n’étaient pas causées par l’ouverture des évacuateurs de crues dans les barrages. Plusieurs autres facteurs ont mené à cette catastrophe qui pourrait se reproduire dans d’autres villes tunisiennes si rien n’est fait, souligne le Consultant international en hydraulique, Aménagement du territoire et planification des ressources en eau, Mohamed Hedi Louati, dans une interview accordée à l’Agence TAP.
    Pourquoi la ville de Nabeul a été malheureusement, noyée ?
    D’abord, c’est en raison de l’intensité de la pluie, soit 300 mm en trois jours, dépassant largement, la pluie centennale. Cependant, les dégâts auraient été de loin moindres et l’exutoire (la mer) aurait fonctionné correctement, si les lits des oueds n’avaient pas été obstrués par divers déchets, si les lits majeurs de ces oueds n’étaient pas occupés par des habitations anarchiques et s’il y avait des aménagements adéquats et une maintenance des réseaux d’eau pluviale,
    En outre, l’évacuateur des crues d’un des barrages collinaires, proche de la ville de Nabeul, est dans un état délabré depuis plus de deux ans. Imaginons que l’un des deux barrages collinaires les plus proches de la ville ait cédé, il aurait inondé la route périphérique et aurait contribué à l’augmentation des débits d’eau.
    Le débordement de l’oued Souhil, en amont a, aussi, largement contribué à l’inondation de la ville, car malgré les catastrophes vécues en 1986, nous n’avons tiré de leçons. Nous avons continué d’empiéter sur le domaine public hydraulique.
    Comment décrire l’aménagement des ouvrages et ressources hydrauliques à Nabeul?
    Du point de vue hydrologique et hydraulique, la région du Cap Bon est constituée de deux grands bassins dont chacun comporte plusieurs sous-bassins. Le premier à l’Est, verse dans la mer, alors que le second verse à l’ouest et a comme exécutoire la mer de l’autre côte de la pointe de la Tunisie.
    La position géographique de la ville de Nabeul, comme de toutes les villes en bordure de mer, constitue l’exutoire du bassin en amont. Pis encore, l’ancienne route qui mène vers le centre de la ville, par « Ain kmicha », est originairement un chemin d’écoulement en période de grandes crues. La nouvelle ceinture routière qui longe l’amont de la ville de Nabeul et Dar Chaabene, pourrait fonctionner correctement, pour les pluies d’intensités moyennes. Mais en cas de fortes pluies, si elle n’est pas assez bien drainée, elle pourrait contribuer à l’accentuation des vitesses d’écoulement et jouer un rôle destructif
    Le canal de protection qui sépare les villes de Nabeul et Dar Chaabene fonctionne à moins de 50 % de sa capacité. Il est devenu, depuis 2011, un dépôt d’ordures sur tout son tracé. L’entretien et le curage des réseaux d’assainissement est du moins que l’on puisse, dire inexistant.
    Comment pourrait-on y remédier ?
    Il est hors de question de penser même à l’édification d’un barrage, comme pourraient l’imaginer certains, pour la simple raison qu’il n’y a pas de sites valables. De toutes façons, la ville de Nabeul restera continuellement, menacée par nos modes de gestion actuels des ouvrages hydrauliques. Des sites de bassins d’orages sont nombreux et peuvent fonctionner en parfaite harmonie, mais ils nécessitent un suivi en temps réel et un système de prévision efficace.
    Il faut revoir les aménagements au niveau de la ceinture Nabeul – Beni khiar, assurer le curage du canal des eaux pluviales (entre Dar Chaabene et Nabeul), installer des grillages et entretenir en permanence le réseau d’assainissement.
    Je crois qu’il faut aussi, mettre en place un système d’alerte météorologique précoce et développer et décentraliser les services de la météo (le système conçu depuis 2008, pour les barrages, dans le cadre d’un partenariat tuniso-japonais, avec la JICA, n’a pas encore vu le jour).
    Il s’agit aussi, trouver des moyens efficaces pour la sensibilisation des citoyens, quitte à pénaliser fortement les fautifs. En plus, il faut prendre en considération des effets des changements climatiques dans l’aménagement des villes et le dimensionnement des ouvrages aussi bien en milieu urbain que rural.
    Quelles sont les villes tunisiennes qui sont les plus sujettes aux risques d’inondation?
    Exceptées les villes édifiées par les romains, qui privilégiaient les hauteurs (pour diverses raisons de sécurité), toutes nos villes sont dans des zones basses, proches des sources d’eau et par conséquents des écoulements. Il s’agit, en particulier, des villes de Bousalem, située entre Medjerda et bouhertma, de Jedeida entre Medjerda et Chafrou, de Siliana, entre l’Oued Siliana et l’oued Massouge et les villes de Meknassy, Sfax et Nabeul.
    Le plus important est de changer de mode de gestion des zones urbaines, car le mode de gestion actuel de ces zones a aggravé la situation.