Le vent ne semble pas tourner en faveur du dinar tunisien qui poursuit sa dégringolade face aux principales monnaies étrangères, après avoir perdu, en 2017, environ 21% de sa valeur face à l’euro et près de 6%, par rapport au dollar. La situation est aujourd’hui telle que l’euro flirte dangereusement avec les 3 dinars. Certains opérateurs de la place l’ont même déja échangé, contre 3 dinars.
Invité par l’agence TAP à commenter cette dangereuse dégringolade, le PDG de CAP Bank, Habib Karaouli, constate « qu’à ce jour, la dépréciation du Dinar par rapport à l’Euro a été de 22% et de près de 7% face au US$ « .
Et d’expliquer » cette dépréciation, outre les aspects macro-économiques en grande partie responsables de cette situation, est la résultante d’un arbitrage et d’un choix arrêté par la BCT de laisser glisser le Dinar sans intervention excessive pour réguler le cours. D’aucuns préfèrent imputer cette responsabilité aux recommandations voire aux injonctions du FMI. Mais la BCT a-t-elle le choix ? « .
Sur le plan théorique, poursuit-il, » cette dépréciation aurait dû profiter aux exportations. Or, ce ne fut pas le cas. Bien au contraire cela a eu l’effet inverse, et pour des raisons évidentes d’instabilités de tous ordres, de manque de préparation de notre appareil productif éreinté par 7 années de pression et de réelle offre de biens et services exportables, ce sont les importations qui ont bondi pour atteindre 40 milliards de dinars. Avec pour corollaire, un déficit commercial de 15 milliards de dinars, un déficit courant de 10 milliards, une chute en deçà de 100 jours d’importation (93 jours) « .
» Qui plus est, autre effet pervers, cette importation est largement responsable du taux d’inflation record de 6,4% dont une bonne partie est de l’inflation importée » regrette-t-il encore.
Karaouli estime, par ailleurs, que » toutes choses égales par ailleurs, et à la lumière des derniers événements, le glissement risque de continuer. Au 11 janvier, l’Euro s’est traité à 2,922 D à l’achat et à 3,002 à la vente. Idem pour le dollar américain, qui s’est traité à 2,447 D à l’achat et à 2,514 à la vente « .
Interrogé sur les conséquences qu’une telle situation pourrait avoir, il précise que « sur les finances publiques, la baisse du dinar pourrait générer un renchérissement des montants à rembourser en services et principal et une augmentation de l’endettement par un ajustement mécanique. Et donc, un problème d’allocation optimale des ressources. Pour les entreprises, cela pourrait engendrer un renchérissement de l’importation des intrants et autres biens d’équipement et un probable effet sur les prix, ce qui ne manquera pas d’alimenter l’inflation. Sur les particuliers, la chute du dinar aura une incidence directe sur l’allocation voyage et l’allocation études pour les étudiants « .
Karaouli évoque, par ailleurs, » le risque de voir se développer encore plus, le marché parallèle de devises. Ce genre de contexte, qui offre des opportunités d’enrichissement illicites, est propice au développement d’intermédiaires non agréés pour spéculer ».
La dépréciation du dinar n’est pas une fatalité
Adhérant à l’analyse du PDG de CAP Bank, la Professeure universitaire en Sciences Economiques, Fatma Marrakchi Charfi considère que » le dinar dépend, certes, de la parité euro/dollar mais dépend en grande partie de la liquidité en devises. Ainsi, un dinar faible est en grande partie le résultat des mauvaises performances de l’économie (un déficit commercial croissant, un déficit courant qui s’aggrave, un déficit budgétaire non contrôlé et un taux d’inflation de plus en plus élevé etc…).
» Le dinar c’est le reflet de l’état de santé de notre économie et il ne faut pas croire que la dépréciation est une fatalité. Une évolution négative des fondamentaux de l’économie ne peut que mener à un dinar plus déprécié « , relève-t-elle encore.
Charfi fait savoir, par ailleurs, que » même si la BCT intervient pour défendre la parité du dinar vis-à-vis des autres monnaies en utilisant les réserves de change, elle ne peut le faire que ponctuellement pour éviter les variations erratiques de la valeur du dinar et lisser sa volatilité « .
Ainsi, pense-t-elle, » pour redresser le dinar et remonter la pente, il faut augmenter l’offre des devises qui peut être le fruit des recettes d’exportation, d’une reprise du tourisme, d’une entrée plus importante des fonds de la diaspora tunisienne à l’étranger, d’une plus grande affluence d’investissements directs étrangers et le cas échéant d’un endettement plus important (ce que nous n’espérons pas) « .
D’après l’économiste, » la dépréciation du dinar vis-à-vis de l’euro et vis-à-vis du dollar aura au moins, trois effets négatifs et un quatrième censé être positif. Le premier effet négatif est relatif au renchérissement de la dette extérieure (privée et publique) exprimée en monnaie nationale. Le deuxième effet négatif, c’est un enchérissement des produits importés de première nécessité, ce qui alourdira les dépenses de compensation et donc le déficit budgétaire « .
Cette dépréciation alimentera aussi » le phénomène inflationniste à travers la transmission de la dépréciation du dinar aux prix domestiques. Certes, l’impact de la dépréciation sur l’indice de prix à la consommation est faible étant donné que 26,6% de cet indice est formé par des biens dont le prix est administré (dont l’impact sera sur la caisse générale de compensation), mais l’impact de la dépréciation sur le prix des biens importés est important. De même que l’inflation sous-jacente (à laquelle les décideurs de politiques économiques sont très attentifs), est très sensible à la volatilité du dinar « .
Toujours selon Charfi » le quatrième effet qui est censé être positif, c’est l’impact de la dépréciation sur la balance commerciale à long terme, en décourageant les importations qui deviendraient plus chères pour les tunisiens et en encourageant les exportations qui deviendraient moins chères pour le client européen. Toutefois, une analyse plus fine permettra de démontrer que la dépréciation n’aura pas d’effet sur la balance commerciale globale. Elle n’améliore, en fait, que les exportations nettes de certains secteurs, en l’occurrence ceux opérant sous le régime off-shore « .