Le commerce du plastique en Tunisie entre l’âpre réalité et les décisions du gouvernement

TUNIS- (Rédaction TAP)-Elle s’appelle Mbarka et a plus de 70 ans, un âge qui ne l’empêche pas de traverser quotidiennement la médina de Tunis en direction du marché central de Tunis, dans la capitale, où elle vend des sacs en plastiqueà hantée par la peur de perdre sa seule source de revenus.

Le ministère de l’environnement et du développement durable a décidé, en vertu d’un décret publié par le  gouvernement d’interdire, à partir de 2016, l’importation des sacs en plastique, leur industrialisation et vente en Tunisie, étant donné que les sacs en plastique nuisent à l’environnement et à la santé de l’homme.  Cette décision est appuyée par une conscience des Tunisiens quant aux questions environnementales et aux campagnes internationales contre l’utilisation des sacs en plastique.

Les Tunisiens consomment environ 1 milliard de sacs en plastique par an, dont la plupart finissent dans la nature (80% des sacs ne sont ni collectés ni recyclés).

Les militants dans le domaine de l’environnement critiquent, à ce titre, les autorités chargées des structures de l’environnement et celles en charge du développement des stratégies de valorisation.

Les défenseurs de l’environnement en Tunisie ont applaudi la décision du gouvernement qui a suscité, en revanche, la colère des industriels du plastique et des craintes auprès d’une catégorie de citoyens qui ont fait de la vente des sacs en plastique, une source de revenus. 

Pour calmer la frustration des industriels, le ministère a lancé un ensemble de garanties, en limitant l’application de cette décision aux sacs au poids léger à usage unique.

D’après la fédération des industriels du plastique, 15 mille personnes se retrouveront de manière directe ou indirecte au chômage, si cette décision est appliquée,  dans un secteur qui emploie 30 mille personnes.  En fait, personne n’accorde d’intérêt à Mbarka Ben Talbouba ou aux autres vendeurs de sachets en plastique. 

Le ministère de l’environnement et du développement durable a accordé aux industriels un délai d’un an avant l’entrée en vigueur de cette décision, cette dernière serait donc appliquée au mois de mars 2017, a indiqué à l’agence TAP, le directeur général au ministère, Hédi Chebili.

Les autorités en charge de l’environnement en Tunisie sont conscientes des dangers de la pollution issue de la prolifération du plastique qui enlaidit le paysage du pays, notamment après la révolution, sans oublier les maladies causées par cette pollution.

Une âpre réalité impose la vente des sacs en plastique

Mbarka comme l’appellent les vendeurs du marché central et sa famille habite à Tunis dans la zone d’El Hafsia, dans une «Oukala», habitation collective où louent  les personnes démunies. Elle travaille, depuis cinq ans, dans le domaine de la vente du plastique. 

Mbarka est incapable d’exercer une autre activité, sachant qu’elle subvient aux besoins de la famille de son frère handicapé.

Portant une quantité de sacs en plastique entre les mains Mbarka a dit: «On a appris par les médias que le gouvernement interdira l’industrialisation des sacs à », «si cette décision est vraie, comment vivrons-nous, nous  vendeurs de sacs en plastiques, surtout que nos revenus dépendent de ce métier ?» s’est-elle interrogée.

Des centaines de personnes dans les différentes régions du pays exercent le même travail que Mbarka. Elles se rassemblent chaque matin dans les marchés des fruits et légumes pour vendre des sacs en plastique aux passagers, moyennant une contre partie ne dépassant pas 100 millimes. 

Ces vendeurs qui n’ont pas d’adresse, achètent leurs sacs auprès des grossistes qui s’approvisionnent, à leur tour, des circuits d’importation et même auprès des commerçants du commerce parallèle. 

Chaque matin, Mbarka se dirige vers le marché où elle vend de 7 heures à 15 heures, ses sacs, un à un, se procurant ainsi ses vivres au quotidien, millime par millime.

Halima, une autre femme, mère de trois filles qui habite à la cité Ettadhamen, a pris aussi le marché central, comme lieu de vente de ses sacs en plastique.  Halouma dit qu’elle assure ses revenus quotidiens de la vente du plastique et elle bénéficie de la générosité des vendeurs du marché qui lui donnent les légumes, fruits et poissons pour sa propre consommation. 

Elle regrette de ne pas parvenir à amasser le montant nécessaire pour effectuer une opération chirurgicale des yeux.

Malgré toutes ces difficultés, Halouma s’est dite « reconnaissante à ce métier, qu’elle exerce au vu de la dure réalité, parce qu’il répond à ses besoins financiers journaliers».

Sur une chaise roulante, une autre femme âgée de 43 ans et mère de deux filles et installée non loin de Halima intervient pour dire avec une voix pleine de confiance : « j’aime mon travail à et je ne pense qu’à bien le faire».  A l’instar de tous les autres vendeurs, elle considère que la décision d’interdire les sacs en plastique signifie le chômage.Ses paroles sont aussi confirmées par Halima, qui dit :«S’ils nous interdisent la vente des sacs, comment vivrons -nous ? ».

Protéger l’environnement..sur décision du gouvernement

273 entreprises sont actives dans le secteur des industries plastiques. Chacune emploie plus de 10 personnes spécialisées dans la fabrication du plastique.  100 entreprises parmi les 273 fabriquent des sacs en plastique à usage unique et le secteur contribue à hauteur de 3% au produit intérieur brut (PIB).

 Selon le responsable de la direction générale de l’environnement et de la qualité de la vie au ministère de l’environnement et du développement durable Hédi Chebili, la décision de l’interdiction vise 315 millions de sacs en plastique à usage unique, soit les deux tiers du total des sacs non recyclables.

Chebili a ajouté « nous avons décidé d’accorder aux industriels les délais nécessaires, soit jusqu’au début de l’année 2017, pour qu’ils s’adaptent et de les encadrer afin qu’ils parviennent à fabriquer des sacs solides ou solubles fabriqués à partir du papier, de fibres végétales ou de tissus ».       

Le ministère oeuvre, a-t-il dit, à convaincre les industriels et à se concerter avec eux afin d’atténuer leurs craintes et pour qu’ils cessent d’eux-mêmes de produire les sacs en plastique à usage unique. 

La décision d’interdiction ne concerne pas les sacs à usage économique utilisés dans les différentes activités économiques des entreprises, tels que l’emballage ou la production et autres, a précisé le responsable. 

Le ministère accordera aux industriels un délai d’une année pour l’arrêt de fabrication de sachets en plastique  légers. L’aide nécessaire leur sera fournie pour la production de sachets conformes aux normes environnementales et plus épais afin de faciliter leur collecte.

Les mesures que le ministère compte mettre en œuvre comportent la lutte contre l’importation des sacs en plastique non conformes aux normes dont 80% proviennent, selon les industriels, des circuits commerciaux parallèles, tout en contrôlant davantage les circuits de distribution.

L’application de la décision revient aux industriels

La chambre nationale des industriels et transformateurs du plastique estime que la décision d’interdiction prévue sera un coup dur pour le secteur qui procure des milliers  d’emplois.

La chambre rejette cette décision, comme l’a indiqué son vice-président Fayçal Bradii dans une déclaration à l’agence TAP.

Il reproche au ministère de ne pas avoir associé la chambre à la prise d’une telle décision, alors que le ministère souligne « être ouvert aux suggestions de la chambre pour l’élaboration de cette loi que Bradii qualifie d' »arbitraire ».

Il a appelé à la création d’une commission regroupant les ministères de l’industrie et de l’environnement ainsi que la chambre pour évaluer l’efficience ou non de cette loi, accusant le ministère de l’environnement de gaspiller des millions de dinars.           

« Le ministère profite des revenus fiscaux au titre de l’impôt sur le fonds de l’environnement, alors qu’il n’a déployé aucun effort pour revoir les systèmes de recyclage du plastique », a-t-il ajouté.

Il aurait été plus opportun, d’après ses dires, de réformer les systèmes de contrôle et de recyclage des déchets, tels que celui d' »Ecolef », recommandant au ministère de combattre la contrebande des sacs en plastique au lieu d’interdire leur fabrication.   

Il a indiqué que la chambre a l’intention de hausser le ton en cas de non retrait de cette loi sur l’interdiction laquelle engendredra des pertes matérielles énormes pour les industriels et les collecteurs bien qu’elle soutienne la fabrication de sacs en plastique à usages multiples et ne concerne que les sachets à usage unique.  

Bradii considère que l’importation des sacs constitue la source principale de pollution dans le pays, précisant que le taux de quantités importées de ce produit s’élève a environ 80%, soulignant la nécessité pour le ministère de lutter contre la contrebande et l’importation de sacs en plastique au lieu de promulguer une loi interdisant leur fabrication en Tunisie.