Des artisans du Tapis, en crise alors que les entreprises tirent leur épingle du jeu

Rares sont les artisans indépendants spécialisés dans la fabrication du tapis, des tissages ras et des fibres végétales, qui y trouvent aujourd’hui, leur compte, étant confrontés à la cherté des matières premières et à la difficulté de commercialiser leurs produits. Pourtant les entreprises artisanales, tirent leur épingle du jeu, fortes de leurs réseaux et expériences, c’est ce qui ressort des témoignages recueillis par l’Agence TAP, à la Foire nationale « Zarbia 2016 », organisée du 16 au 25 décembre 2016, par l’Office National de l’Artisanat Tunisien (ONA).
A 10 heures, mercredi matin, une petite file d’attente se crée devant la porte d’entrée du parc des expositions du Kram. L’affluence va crescendo à mesure que la journée avance, bien qu’elle n’ait pas atteint les moyennes des années précédentes, lorsque la Foire coïncidait avec les vacances scolaires. Dans les allées de cette exposition, déambulent des visiteurs et des passionnés, dont certains déclarent être dissuadés d’acheter à cause des prix trop élevés, par rapport à leur pouvoir d’achat, malgré leur engouement certain pour ces produits originaux.
Au niveau des stands, chaque pièce exposée raconte une personnalité, une émotion, un état d’esprit, et chaque motif, raconte une histoire, une région, une tribu, une culture et des coutumes…Tapis à points noués, tapis tissés à poils ras, Alloucha, Klim, guetifa, flijs, himls, ghrara, ouazra, houli, et mergoum… Le tapis traditionnel tunisien transporte les visiteurs dans un univers riche en couleurs, en formes et en géométries. Son originalité est née d’un mariage subtil entre art ancestral et modernité.
Le tissage, une tradition qui n’est plus rentable
70 artisans appartenant à 14 gouvernorats prioritaires, ont été invités par l’Office National de l’Artisanat Tunisien, pour participer gratuitement à la Foire nationale du tapis et accroitre ainsi, leurs chances de promouvoir et vendre leurs créations.
Fièrement installée derrière son métier à tisser manuel, Drahem Mraihi, artisane originaire de Kairouan, affirme que le tissage des tapis est une tradition qui se perpétue de génération en génération, dans sa famille, bien que cette tradition « ne soit plus rentable, de nos jours, étant confrontée à la cherté de la matière première, la laine essentiellement, aux difficultés de commercialisation et à l’irrégularité du soutien financier fourni par les autorités compétentes ».
Partageant les mêmes inquiétudes, Zaara Bidhani, artisane de Tozeur, a surtout, déploré l’absence de mécanismes de soutien au profit des jeunes artisanes. Le problème de commercialisation des articles fabriqués présente également, un grand souci pour elle. « Nous arrivons à écouler quelques articles dans les foires, mais pour le reste, dénicher des clients reste la plus difficile des tâches et c’est ce qui menace de disparition, cette tradition ».
Ne figurant pas sur la liste des artisans invités par l’ONA, Mbarka Mabrouki qui dirige un petit groupe de 11 jeunes artisanes, dans le cadre du village artisanal d’Om Larayes (Gafsa), a pris en charge les frais de déplacement pour participer à la Foire. Et il a fallu que le délégué régional de l’artisanat à Gafsa intervienne pour qu’elle soit hébergée par l’Office, durant la période d’exposition. Outre le problème de commercialisation qui entrave sérieusement son activité, Mme Mabrouki, dénonce aussi, l’absence de mécanismes de formation aux métiers de tissages dans la délégation d’Om Larayes, mais aussi des commodités nécessaires ( électricité, eau…..) dans le village artisanal.
Pour mémoire, ce problème persistant de commercialisation, s’est aggravé depuis la liquidation, en 2009, de la Société de Commercialisation des Produits de l’Artisanat « SOCOPA » qui avait pour missions l’écoulement de l’artisanat national en Tunisie et à l’étranger et la vente des matières premières aux producteurs.
Les entreprises artisanales, mieux loties
Les entreprises artisanales ont plutôt, évoqué les problèmes de la rareté de la main d’œuvre et de la concurrence déloyale, et pour certaines, l’impact de la baisse de l’activité touristique sur les ventes du secteur.
Jalila Kheliaa, fondatrice et manager de l’entreprise artisanale « MONTAPI », installée à Béja et forte de ses 18 ans d’expérience, se dit fière de sa spécialisation « dans la production artisanale mêlant le cachet traditionnel et l’esthétique moderne. Nos créations ont beaucoup plu, et les marchés, aussi bien intérieur qu’extérieur nous sont ouverts ».
Son entreprise « emploie une soixantaine d’artisanes, et a assuré la formation de 450 jeunes filles. Soutenue par l’ONA, elle a pu participer à des foires internationales (The NY Now à New York, Maison&Objet à Paris, Salon Ambiente en Allemagne…). Elle a également, exposé à Bordeaux, à ses propres frais ».
Kheliaa, qui est également la représentante du Conseil international des Femmes Entrepreneurs à Béja, se dit portée par l’ambition d’agrandir son projet, d’aller encore plus loin en matière de formation et d’encourager les jeunes à s’investir dans l’artisanat.
Dans une allée voisine, s’étale le stand de « Berbère Carpet », une jeune entreprise artisanale, « créée depuis 3 ans, à Toujane (Matmata) mais qui a pu se distinguer rapidement par la qualité de ses productions qui s’écoulent facilement grâce, entre autres, aux réseaux sociaux qui représentent ses principaux canaux de commercialisation  » indique Ibtissem Zid, gérante de la société.
Berbère Carpet emploie actuellement plus d’une trentaine de femmes artisanes, dans plusieurs régions, dans le Sahel, au Kef, à Douz, mais aussi à Béni Mtir, Toujane et bientôt à Kesra, village berbère du centre-ouest.
La gérante n’a pas de problèmes de commercialisation, mais déplore une concurrence déloyale, notamment les reproductions contrefaites des modèles de sa société, exposés sur les réseaux sociaux, et une mauvaise organisation du secteur.
Au stand de la Société Mini Souk, installée à Djerba depuis 1980 et spécialisée dans la fabrication des tapis traditionnels, Manoubi Ben Jemaa, chargé des ventes au sein de la Société avance que « des entreprises, moins solides, ont dû mettre la clé sous le paillasson, le secteur de l’artisanat à Djerba étant fortement dépendant de l’activité touristique ». Pour cette société, qui emploie plus de 60 artisans, l’inquiétude majeure reste la rareté de la main-d’œuvre qualifiée, et la baisse de l’activité touristique qui a beaucoup impacté ses ventes.