Economie informelle : 35,5% du PIB et des emplois par centaines de millier

Selon le rapport du Think Tank « Joussour » intitulé : « Le secteur informel en Tunisie», ce secteur est un champ vaste (35.5% du PIB en 2012) qui échappe largement au contrôle de l’État. Son poids en Tunisie est comparable à celui dans les pays en voie de développement. Il contribue de manière significative à la croissance en Tunisie et joue le rôle d’amortisseur en période de crise mais, depuis 2008, il croît beaucoup plus rapidement que le PIB, ce qui est source de réelle inquiétude.

Pour élaborer ce rapport, JOUSSOUR a mené un travail d’exploration et d’étude de plusieurs mois afin de cerner le phénomène, de saisir ses articulations et ses saillances, et d’éclaircir ses ambiguïtés. Le rapport présente les principaux résultats, dans un format succinct qui s’adresse essentiellement aux décideurs publics, politiques et économiques.

Selon le rapport, cette économie informelle génère environ la moitié des 3 millions d’emplois en Tunisie. L’étude montre aussi que les revenus de la contrebande sont estimés à 750 millions de dinars  qui engendrent une perte potentielle pour l’Etat estimée à près de 500 millions de dinars.

Le rapport de Joussour estime que le traitement du secteur informel devra certes user de répression face à certains aspects, mais il devra également faire appel à des politiques d’accompagnement pour accroître la productivité du secteur et à des politiques de protection des gens qui y travaillent pour qu’ils opèrent dans des conditions décentes.

Aujourd’hui, « l’informel » ne cesse de s’incruster dans le paysage économique et social pour devenir une réalité indéracinable. Il représente selon toute vraisemblance une part importante de l’économie nationale, même si on peine à en avoir une représentation chiffrée, sans doute parce qu’il n’est pas toujours aisé de cerner le phénomène ou de le mesurer.

La révolution tunisienne a elle-même été déclenchée par l’immolation d’un vendeur de rue maltraité par la police municipale, c’est-à-dire la rencontre explosive entre l’informel et une politique publique inadaptée.

« L’informel » se trouve ainsi au cœur des multiples causes de la révolution Tunisienne : déséquilibres régionaux prononcés, pauvreté, chômage, corruption systématique et organisée… qui renvoient aux défaillances du modèle économique tunisien et aux nombreux blocages qui affectent son système de production. Il touche l’intégralité du circuit économique et représente de ce fait une donnée structurante des grandes réformes socio-économiques à engager.

La phase de transition politique qui a suivi la révolution a connu un net recul du rôle et de la présence de l’État, laissant cours à une expansion du phénomène et à une multiplication de ses interférences avec la criminalité et même le terrorisme.

Si rien n’est fait, avec le temps, estime le rapport, l’État pourrait être dépassé par un phénomène complexe qui prend des proportions dangereuses, y compris pour notre sécurité nationale.

En dépit de cette importance qu’il revêt et des enjeux qu’il présente, « l’informel » demeure aujourd’hui mystique pour l’opinion publique, globalement méconnu par les chercheurs, peu maîtrisé par les décideurs et, par conséquent, insuffisamment pris en compte par les politiques publiques. 

Le rapport à pris l’exemple de deux produits phare de la contrebande et de l’économie informelle : le tabac et le pétrole.

Pour le premier produit, le tabac, le rapport rappelle que la production nationale des tabacs (production nationale et importations légales) présente un déficit difficile à comprendre et ne répond pas aux besoins du marché interne. La contrebande, en provenance essentiellement d’Algérie et de Libye, comble le différentiel et représente près du tiers de la consommation nationale en tabac. Ce qui pose des problèmes de santé publique et occasionne des pertes en recettes pour l’État de l’ordre de 500 millions de dinars.

Pour lutter contre cette contrebande, le rapport Joussour recommande d’adopter une stratégie de lutte contre le tabac de contrebande qui se fonde sur deux axes : le premier c’est  d’augmenter la production nationale de tabac et cigarettes  afin de réduire la forte demande sur le tabac de contrebande. Le second axe de la stratégie c’est d’ instaurer un système de suivi et de traçabilité de la chaîne logistique des produits du tabac, conformément  au protocole de l’OMS dont la Tunisie est signataire .Cette stratégie doit aussi renforcer le contrôle de la distribution du tabac en dotant les contrôleurs sur terrain de terminaux d’inspection mobiles (PC). Enfin un observatoire de suivi du marché du tabac devra être créé.

Quant aux produits pétroliers, le rapport précise que la contrebande est la conséquence des écarts de prix considérables entre la Tunisie et ses deux voisins algérien et libyen et ne peut, par conséquent, être traitée efficacement qu’à travers une stratégie commune établie avec les autorités de ces deux pays.

Cette contrebande représente 25% du marché local et donc un facteur d’amélioration du pouvoir d’achat de nombreux consommateurs tunisiens, mais elle génère également près de 300 millions de dinars de revenus annuels bruts pour quelques dizaines de barons et de grossistes des deux côtés des frontières, avec de réels risques d’interférence avec le crime organisé et d’infiltration par les groupes terroristes.

Pour remédier à cette situation, le rapport Joussour recommande une tolérance zéro pour  la contrebande de ces produits vu son interférence avec le financement du terrorisme.

Le rapport recommande enfin d’instaurer une collaboration entre les comptables nationaux et les contrôleurs fiscaux pour un échange d’informations fluide et continu.

Sources : rapportjoussour.org avril  2016